« Vous êtes tous une génération perdue »

© 2006 Man Ray Trust.

Le terme de Génération perdue (Lost Generation) indique non seulement un courant littéraire américain de l’entre-deux-guerre mais aussi une génération sociologique, la génération postérieure à la Première Guerre mondiale. Ce qui nous intéresse surtout, c’est le groupe d’écrivains américains parvenus à l’âge adulte pendant la guerre et qui bâtirent leur réputation littéraire au cours des années vingt. Le terme a pour origine une remarque faite par Gertrude Stein à Ernest Hemingway : « Vous êtes tous une génération perdue. » Hemingway en fit l’épigraphe de son roman Le soleil se lève aussi (The Sun also Rises, 1926). Dans Paris est une fête (« A Moveable Feast ») Hemingway affirme que Stein a entendu cette expression dans un garage de voitures. Son propriétaire a crié sur le jeune mécanicien qui n’arrivait pas réparer la voiture assez vite: « Vous êtes tous une génération perdue ». De faite, Stein en racontant cette histoire à Hemingway a ajouté: « C’est ce que vous êtes… C’est ce que vous êtes tous… Vous, tous les jeunes qui ont servis pendant la guerre… Vous êtes une génération perdue ».

Pourtant, Ernest Hemingway dévoile dans son livre Paris est une fête (1964) sous la forme d’une anecdote que ce nom « génération perdue » n’a aucune connotation tragique, au contraire de ce qui est souvent admis.

Cette génération était « perdue » en ce sens qu’elle avait hérité de valeurs qui n’étaient plus d’usage dans le monde d’après-guerre. Elle souffrait de l’aliénation spirituelle des États-Unis qui, somnolant sous la politique de « retour à la normale » du président Harding (1865-1923), lui paraissaient incurablement provinciaux, matérialistes, vides d’émotion. C’était la génération jetée dans la Première Guerre mondiale, sacrifiée en quelque sorte aussi bien moralement que physiquement, car les survivants en étaient souvent revenus terriblement désabusés. Ils étaient partis pour une croisade et n’avaient vu partout en Europe que des horreurs, des massacres absurdes et des victimes pitoyables. Après une si retentissante faillite de leur idéal, il leur avait été impossible de croire plus longtemps aux notions de gloire, d’honneur, de patrie, qui avaient causé tant de souffrances. Les œuvres des écrivains américains de cette génération ont donc remis en question toutes les valeurs morales et les vertus traditionnelles et exprimé avant tout un grand désarroi et un immense désenchantement.

Cependant, la vie a fini par être la plus forte. Peu à peu, les plaies morales se sont refermées et certains de ces écrivains, dont Hemingway, se sont efforcés de redonner sens et valeur à l’aventure humaine. Le terme peut s’appliquer à Hemingway, à Cummings (poète, écrivain et peintre américain), à Fitzgerald (un écrivain américain), à Dos Passos (un écrivain et un peintre américain), aussi bien qu’à de nombreux autres écrivains qui firent du Paris de l’époque le centre de leurs activités littéraires. Ils ne constituèrent jamais une école. Les mêmes problèmes les unissaient pourtant : découvrir de nouvelles valeurs et un nouveau langage artistique capable de les exprimer — autant de buts qu’ils atteignirent chacun à sa manière.

L’oeuvre phare de toute une génération,  la « génération perdue » des rugissantes années 1920 (« roaring twenties »), celle des jeunes gens qui cherchaient à noyer leur désespoir né de la guerre dans le jazz et l’alcool de contrebande, est Gatsby le Magnifique, publié en 1925. C’est le troisième roman et l’œuvre la plus célèbre de Francis Scott Fitzgerald (1896-1940).

Au cours des années trente, les écrivains prenant des directions différentes, leurs œuvres perdirent la marque distinctive de l’immédiat après-guerre. Les derniers ouvrages représentatifs de cette époque furent Tendre est la nuit (Tender Is the Night, 1934), de Fitzgerald, et La Grosse Galette (The Big Money, 1936), de Dos Passos.

Ernest Hemingway © 2006 Man Ray Trust.ADAGP

Ernest Hemingway © 2006 Man Ray Trust.ADAGP


FRANCK D., Bohèmes, Clamann-Lévy, 1998.

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